Vers la métamorphose du système (mars 2012)
Oui, je sais, je ne suis qu'une piètre journaliste, il suffit de regarder mes photos... Mais enfin, c'est quand même une preuve que j'y étais à la conférence d'Egar Morin, le lundi 12 mars dernier.
Il a d'abord fallu faire la queue dans la rue car nous étions nombreux à vouloir écouter "le professeur". Surtout des gens de plus de cinquante ans, beaucoup d'entre eux français ou francophiles, un journal ou un livre passionnant à la main, souvent de philosophie, bref, des intellectuels. On s'interpelait gaiement en français ou en espagnol, on s'embrassait chaleureusement en se donnant de fraternelles tapes dans le dos.
A l'intérieur, dame, c'est qu'il y avait M. Federico Mayor Zaragoza, M. Miguel Angel Moratinos, Monsieur l'Ambassadeur, cheveux au vent, et d'autres que je n'ai su reconnaître.
Edgar Morin est arrivé, écharpe orange au cou, chapeau beige à la main (on peut voir le chapeau au premier plan sur la table sur ma photo!!) et un grand sourire aux lèvres. Charmant, disant des "vérités vraies" et dans un français merveilleux et précis, citant avec une aisance admirable Heidegger, Kant (" Que puis-je savoir, croire, espérer?") la Bible, et tout un tas d'autres références.
Son exposition a abordé plusieurs thèmes qui sont développés dans l'ouvrage Le chemin de l'espérance, publié en collaboration avec Stéphane Hessel en 2011. C'est un ouvrage court (60 pages) et très clair qui propose des chemins à explorer pour sortir du "somnambulisme" dont nous souffrons.
Lors de la conférence, Edgar Morin a évoqué le concept de la pensée complexe ("ce qui est tissé ensemble") et a proposé, comme exemple, une définition de l'être humain englobant trois aspects ("une trinité"): l'individu, l'individu au sein de la société et l'individu au sein de l'espèce biologique. L'homme ne peut être défini uniquement comme homo sapiens mais aussi comme homo demens, homo ludens, homo faber etc..., l'homme ne peut être compris sans son aspect émotionnel.
Le concept de la pensée complexe nous mène à nous rendre compte des limites de notre système d'éducation qui ne relie pas les connaissances entre elles et qui cloisonne les savoirs. De nos jours, la figure de "l'expert" est très à la mode mais l'expert est incapable d'appréhender une situation complexe.
Ensuite, Edgar Morin est passé à une analyse de notre société et a introduit la notion de "somnambulisme" pour évoquer l'état dans lequel nous nous trouvons, "d'une vie au jour le jour". Nous agissons perdus dans le brouillard, victimes de la consommation à outrance ("des intoxications consuméristes"), de la publicité, de la mode etc..., nous sommes manipulés.
Il a aussi évoqué la mondialisation qui permet une interconnexion, le développement mais aussi l'occidentalisation du monde. Un effet positif de la mondialisation est le fait de produire une "communauté de destin" des autres humains: nous vivons tous la même chose en même temps et donc, nous pouvons évoluer et changer en même temps (sans parler de l'aide que nous apporte le développement de la communication tout en sachant que "l'information n'est pas la connaissance").
Puis, sa réflexion a développé à la notion de "métamorphose du système". Le système va changer, tôt ou tard, mais pour l'instant, le nouveau système n'existe pas. A propos des mouvements des Indignés, Edgar Morin dit très justement qu' "il ne suffit pas de dénoncer, il faut énoncer une autre voie." La métamorphose dépend de trois facteurs: l'improbable, qu'il ne faut pas négliger; les capacités créatrices des être humains; la désespérance: il faut en effet toucher le fond pour que les choses changent et c'est ce qui m'inquiète, car je crois que l'on n'a pas encore touché le fond et je crains la violence et la souffrance que cela pourrait engendrer, d'autant plus que ce sont nos enfants et petits-enfants qui devront élaborer le nouveau système.
Dans l'ouvrage Le chemin de l'espérance, Stéphane Hessel et Edgar Morin proposent des mesures concrètes:
- instaurer une politique du "bien-vivre" (p.25), je cite: "l'hégémonie du quantitatif sur le qualitatif doit être renversée (...). Elle doit viser l'épanouissement des autonomies, tout en les insérant dans des communautés. Elle ressusciterait les solidarités, ferait reculer l'égoïsme. Elle se préoccuperait non seulement du survivre (...) mais aussi du vivre qui se confond avec l'épanouissement dans la relation avec autrui et avec le monde, et où les émotions et les émerveillements esthétiques doivent être considérés non comme des luxes réservés à l'élite, mais comme des droits dévolus à chacun." Moi, ça me fait rêver, je dirais même plus, ça m'émeut...
- une revitalisation de la solidarité
- une politique de la jeunesse
- "la remoralisation d'une société que dégradent le développement de l'irresponsabilité et l'amplification de la corruption" (p.34)
- une réforme des conditions de travail
- une polyréforme économique (développement de l'économie sociale et solidaire, dév. de l'économie équitable, dév. de l'économie verte, l'Etat investisseur social, réduction de la compétitivité, jugulation de la spéculation financière etc...)
- une politique de consommation (nourriture saine)
- l'éducation: "Il s'agit de fournir à chaque élève les moyens d'affronter les problèmes fondamentaux et globaux qui sont ceux de chaque individu, de chaque société, de l'humanité entière"p. 46, réforme de la pensée)
- une culture esthétique.
Après avoir lu cet ouvrage qui s'inscrit dans le contexte des prochaines élections présidentielles en France, on se sent animé d'une certaine espérance, il est vrai, mais il est vrai également que le chemin de l'espérance nous paraît bien long et qu'il nous faudra de la patience...
J'ai énormément apprécié cette conférence et j'ai été très émue de voir Edgar Morin "en vrai" et de l'entendre parler avec cet art qu'il possède de la formule juste, du mot percutant. Morin nous ouvre une voie, trouverons-nous la force d'avancer?
Cliquer ici pour lire un autre post sur Edgar Morin.
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Chère Vanessa, dommage, on ne s'est pas vu, il y avait tellement de monde. Pour ce qui est du message du "grand-père" Morin,la conférence est beaucoup plus développée dans son livre "La Voie pour l'avenir de l'humanité" (2011), où il donne les chemins à suivre pour la métamorphose dans tous les aspects sociaux: la politique, la pensée, l'éducation, la société et la vie. Étant donné son âge, c'est une sorte de bouteille à la mer pour les générations actuelles et celles à venir.
RépondreSupprimerBon courage et à bientôt.
Joaquín